Le challat de Tunis
Tunisia
Ben Hania Kaouther
Eté 2003, un homme sur une moto, une lame de rasoir à la main, rode dans les rues de Tunis. Il s’est donné une mission : balafrer les plus belles paires de fesses des femmes qui arpentent les trottoirs de la ville. On l’appelle le Challat.
En dialectal tunisien ce mot désigne la lame et constitue probablement une déformation orale du mot Gillette, célèbre marque de lame de rasoir dont le slogan était et demeure « La perfection au masculin ». A cette époque, l’ombre du Challat et la violence de son action ont altéré les habitudes vestimentaires des tunisiennes : plus de jean serré, plus de mini-jupe, en tout cas, plus de ballades insouciantes. Les trottoirs sont désertés et chaque bruit de moto provoque un trouble.
D’un café à l’autre, d’un quartier à l’autre, les histoires les plus folles circulent à son égard. On raconte que le Challat se venge de toutes les femmes aguicheuses parce que sa femme l’aurait fait cocu. On raconte aussi qu’il s’agit d’un fou d’Allah, un membre d’une cellule dormante d’Al-Qaïda, qui punirait celles qui se moquent de ses préceptes. Certains iront jusqu’à comparer son geste à une performance, une sorte de happening.
Le Challat est devenu une sorte de figure mystérieuse qui génère passions et tensions. Un mythe entouré d’un halo de fascination, de fantasme et de terreur.
Tout le monde en parle mais personne ne l’a jamais vu.
Pourtant, quelques semaines plus tard, vers le mois de septembre 2003, au lieu d’arrêter le Challat, l’Etat lance une campagne « de bonnes mœurs » ! Il est désormais interdit pour les amoureux de se « bécoter sur les bancs publics », interdit pour les femmes de porter une mini-jupe, interdit d’avoir un rendez-vous galant sur la plage ou dans un jardin public. L’ombre de l’impitoyable Challat qui rôde dans les rues, doublée de l’omniprésence policière ont définitivement défiguré Tunis. Tout est devenu menaçant, laid et maussade.
Quelques mois plus tard, suite à de grotesques abus de la part de la police, la campagne de bonnes mœurs est brutalement stoppée et un journal important déclare que le Challat a finalement été capturé et emprisonné.
Huit ans plus tard, en 2012, après la révolution tunisienne et les premières élections libres du pays, une jeune réalisatrice part à la recherche de ce véritable mythe vivant. Elle se fait un point d’honneur de savoir pourquoi le Challat en voulait à des femmes comme elle dans une Tunisie qui, depuis son indépendance, avait réussi, mieux que ses voisins, le pari de la modernité en émancipant ses femmes. Et surtout pourquoi l’Etat, au lieu de défendre les acquis des femmes tunisiennes, s’est mis à rivaliser avec le Challat, en lançant son absurde campagne de mœurs.
Dans une banlieue malfamée de Tunis, elle rencontre Jallel Dridi, un jeune homme, qui se dit être le Challat en personne. Dans son quartier, tout le monde le craint et le respecte. Tous les soirs dans le café du coin, des hommes s’agglutinent autour de lui pour écouter ses « théories » sur la gente féminine : « Il ne faut jamais essayer de comprendre ou d’aimer une femme, il faut juste lui faire peur ». Ainsi parlait Jallel…
Jallel est convaincant dans ce rôle mais le vrai Challat reste introuvable. Encore pire : la réalisatrice apprend que la même histoire hante les rues du Caire, de Rabat, d’Alger et de Amman !
Elle tentera alors d’élucider le mystère de ce mythe en questionnant le fonctionnement de la police, de la justice et de la presse sous la dictature de Ben Ali.
Ce film raconte avec humour et subjectivité les dessous d’une supercherie/légende urbaine nommé Challat, dans un pays en pleine effervescence où l’information était strictement contrôlée, où les hommes semblent peiner à trouver une place, où le corps féminin reste un enjeu politique de taille et décrit ainsi une société tunisienne de l’intérieur, dont l’intimité et la vie publique sont toujours en prise avec la recherche de l’émancipation.
En dialectal tunisien ce mot désigne la lame et constitue probablement une déformation orale du mot Gillette, célèbre marque de lame de rasoir dont le slogan était et demeure « La perfection au masculin ». A cette époque, l’ombre du Challat et la violence de son action ont altéré les habitudes vestimentaires des tunisiennes : plus de jean serré, plus de mini-jupe, en tout cas, plus de ballades insouciantes. Les trottoirs sont désertés et chaque bruit de moto provoque un trouble.
D’un café à l’autre, d’un quartier à l’autre, les histoires les plus folles circulent à son égard. On raconte que le Challat se venge de toutes les femmes aguicheuses parce que sa femme l’aurait fait cocu. On raconte aussi qu’il s’agit d’un fou d’Allah, un membre d’une cellule dormante d’Al-Qaïda, qui punirait celles qui se moquent de ses préceptes. Certains iront jusqu’à comparer son geste à une performance, une sorte de happening.
Le Challat est devenu une sorte de figure mystérieuse qui génère passions et tensions. Un mythe entouré d’un halo de fascination, de fantasme et de terreur.
Tout le monde en parle mais personne ne l’a jamais vu.
Pourtant, quelques semaines plus tard, vers le mois de septembre 2003, au lieu d’arrêter le Challat, l’Etat lance une campagne « de bonnes mœurs » ! Il est désormais interdit pour les amoureux de se « bécoter sur les bancs publics », interdit pour les femmes de porter une mini-jupe, interdit d’avoir un rendez-vous galant sur la plage ou dans un jardin public. L’ombre de l’impitoyable Challat qui rôde dans les rues, doublée de l’omniprésence policière ont définitivement défiguré Tunis. Tout est devenu menaçant, laid et maussade.
Quelques mois plus tard, suite à de grotesques abus de la part de la police, la campagne de bonnes mœurs est brutalement stoppée et un journal important déclare que le Challat a finalement été capturé et emprisonné.
Huit ans plus tard, en 2012, après la révolution tunisienne et les premières élections libres du pays, une jeune réalisatrice part à la recherche de ce véritable mythe vivant. Elle se fait un point d’honneur de savoir pourquoi le Challat en voulait à des femmes comme elle dans une Tunisie qui, depuis son indépendance, avait réussi, mieux que ses voisins, le pari de la modernité en émancipant ses femmes. Et surtout pourquoi l’Etat, au lieu de défendre les acquis des femmes tunisiennes, s’est mis à rivaliser avec le Challat, en lançant son absurde campagne de mœurs.
Dans une banlieue malfamée de Tunis, elle rencontre Jallel Dridi, un jeune homme, qui se dit être le Challat en personne. Dans son quartier, tout le monde le craint et le respecte. Tous les soirs dans le café du coin, des hommes s’agglutinent autour de lui pour écouter ses « théories » sur la gente féminine : « Il ne faut jamais essayer de comprendre ou d’aimer une femme, il faut juste lui faire peur ». Ainsi parlait Jallel…
Jallel est convaincant dans ce rôle mais le vrai Challat reste introuvable. Encore pire : la réalisatrice apprend que la même histoire hante les rues du Caire, de Rabat, d’Alger et de Amman !
Elle tentera alors d’élucider le mystère de ce mythe en questionnant le fonctionnement de la police, de la justice et de la presse sous la dictature de Ben Ali.
Ce film raconte avec humour et subjectivité les dessous d’une supercherie/légende urbaine nommé Challat, dans un pays en pleine effervescence où l’information était strictement contrôlée, où les hommes semblent peiner à trouver une place, où le corps féminin reste un enjeu politique de taille et décrit ainsi une société tunisienne de l’intérieur, dont l’intimité et la vie publique sont toujours en prise avec la recherche de l’émancipation.
Support:
Festivals and Awards:
Cannes 2014, section Acid Programme
Beirut 2014: Best Documentary and Best Director Documentary
Namur 2014: Bayard d'Or for Best first fiction film
Amiens 2014: FIPRESCI Award
Rome 2014: Special Mention of the Jury + Award of the Students, Med Film Festival
Brussels 2014: Special Jury Award, Mediterranean Cinema Festival
Beirut 2014: Best Documentary and Best Director Documentary
Namur 2014: Bayard d'Or for Best first fiction film
Amiens 2014: FIPRESCI Award
Rome 2014: Special Mention of the Jury + Award of the Students, Med Film Festival
Brussels 2014: Special Jury Award, Mediterranean Cinema Festival
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